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Un prof sous la loupe

M. Kersaint, qu’est-ce qui vous a amené à deve nir professeur des écoles étant donné que c’est une profession qui ne rapporte pas beaucoup? Profitez-en pour faire le point sur votre parcours et éventuellement vos activités de théâtre.

Je pense qu’être Professeur(e) – éducateur(trice), c’est être appelé(e), c’est se consacrer dans une entreprise perpétuelle voire post mortem. À mon humble avis, s’assigner une telle mission, c’est s’engager sagement dans une lutte acharnée pour Sinon, on n’a pas affaire à un être humain à moins que notre représentation en soit une d’exclusivement anthropomorphique: juste la tête, le tronc et les membres. Cela étant, pour moi Berlins Bélande KERSAINT, il faudrait absolument relativiser le concept «ne rapporte pas beaucoup»! Bien sûr, cela rapporte beaucoup pour peu qu’on ne soit pas dans une approche réductionniste salariale. Et, quand bien même certains confrères professeurs(es) – éducateurs(trices) se seraient incrits dans une telle démarche, personne ne puisse trouver des preuves en vertu desquelles on peut m’y classer. Mon parcours professionnel en témoigne.

Je suis économiste et urbaniste de formation, études faites respectivement au niveau licence à l’École de Droit et des Sciences Économiques de Gonaïves et au niveau maîtrise à l’Université Quisqueya de Port-au-Prince; j’ai fait un stage en Administration et Politiques Culturelles à la Maison des Cultures du Monde à Paris et à l’Observatoire des Politiques Culturelles de Grenoble. En fait, Je suis Professeur depuis plus de vingt ans. Entre temps jai travaillé pour des ONG telles ACF et Handicap International à titre d’Assistant Manager de Programme, j’ai aussi travaillé pour la Région Ile-de-France là où j’étais Assistant du Représentant de ladite région en Haïti dans le cadre d’un projet de Coopération décentralisée, j’étais Délégué du Théâtre National d’Haïti pour le Haut-Artibonite; j’ai passé un petit temps à la Direction des Affaires Sociales et Culturelles de la Mairie de Gonaïves. Il faut dire que, dans une approche salariale, ces postes m’ont beaucoup plus rapporté mais le Coeur n’y était pas. Par conséquent, j’ai souvent démissionné pour me retrouver dans mon sacerdoce quoique je travaille au Lycée Louis Diaquoi de Gonaïves depuis sept ans sans être rémunuré d’au plus un centime, ce qui n’est pas grave d’ailleurs et m’est plutôt motivant et béatifique. Dans la foulée, je suis aussi dans le domaine culturel – littéraire – artistique dans un projet dénommé École Communataire des Arts et Métiers (ÉCAM) encore que je ne travaille plus pour le Théâtre National d’Haïti. Enfin, je suis pleinement et entièrement Professeur éducateur, de la Direction Pédagogique du Collège Élim de Gonaïves au Lycée Louis Diaquoi de Gonaîves en passant par l’Alliance Française de Gonaïves et ÉCAM là où je suis metteur en scène – théâtre classique avec des élèves des quatre principaux Lycées de la ville de Gonaïves.

Durant l’année académique 2019-2020, les élèves ont perdu de nombreux jours de classe à cause du coronavirus et des mouvements « pays lock ». Quelles en sont les conséquences sur la performance des élèves ? Quelle a été l’expérience de l’enseignement numérique à distance aux Gonaïves ?

Si nous parlons de performance, en termes d’indicateurs objectivement vérifiables, pour mesurer les impacts de ces événements perturbateurs tant anthropiques que naturels sur l’apprentissage de nos élèves, nous risquons de biaiser notre appréciation car une performance peut-être un coup de maître ne pouvant plus se réitérer peu importe que ce soit par le meme sujet agissant. Si vous me le permettez, il serait mieux de parler de compétences en fonction du niveau académique. Sachant que, s’il est vrai que la performance est souvent ponctuelle et circonstancielle voire aléatoire, il ne l’est du tout pas s’agissant des compétences étant plutôt durables et mobilisables en situation de problèmes à résoudre tant de manières théorique qu’empirique. Je pense qu’il en résulte beaucoup de lacunes en termes de compétences académiques puisque, bien avant ces événements, tout se faisait à l’intérieur des quatre pans de mur de la classe. D’où, des programmes tantôt à compétences minimales tantôt des programmes minina imposés par le M.E.N.F.P. Pas pour toutes les écoles du pays bien entendu si l’on s’en tient à cette réalité d’écoles à plusieurs vitesses en Haïti, dans un contexte méritocratique de Droite consolidé par une société de marché. En dépit de tout, si on veut sortir du carcan d’une pensée binaïre, ces événements ne font pas qu’impacter négativement le processus d’enseignement – apprentissage. C’est grâce à eux que certaines école de la Ville commencent à faire des innovations incrémentales dans leurs services d’éducation-enseignement devenant de plus en plus hybrides: enseignementapprentissage en présentiel et en ligne simultanément; les TICE, la formation des professeurs(es) et le matériel informatique-numérique le facilitant. Tout n’est pas encore réellement opérationnel en ce sens que le personnel enseignant, que ce soit la génération Z, ne s’y accroche pas aisément d’autant que la fracture numérique est très forte en Haïti.

Actuellement je suis Tuteur local, à l’Alliance Française de Gonaïves, dans le cadre d’un programme dénommé ProFle+ mis en place par le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) et France Éducation International (FEI) ci-devant Centre International d’Études Pédagogiques (CIEP). Souhaitons que les parents aient les moyens financiers leur permettant de procurer à leurs enfants le matériel que cela exige et que tous les acteurs du système éducatif puissent se tirer d’affaires quant aux enjeux du numérique et de l’internet!

En janvier 2018 l’ancien président Donald Trump a qualifié plusieurs nations africaines ainsi qu’Haïti de « pays de merde », en réponse à ces propos irrévérencieux vous avez décidé d’enflammer votre visa états-unien. Veuillez reprendre pour nos lecteurs majoritairement écoliers les raisons qui vous ont poussées à prendre cette décision.

Il s’agit là d’une action sociale individuelle bien sûr mais que s’approprie l’opinion publique. À chacun son prisme: soit weberien ou individualisme méthodologique, soit durkheimien ou holisme méthodologique. Certains le jugent sous la base de l’utilitarisme de l’acte, d’autres y opinent en se référant à l’utilitarisme de la règle. En fait, c’était tout à fait symbolique en mémoire de nos Pères fondateurs et de nos Mères fondatrices de la Patrie qui ne s’étaient jamais sacrifiés dans l’intention de nous laisser ce coin de terre dont nous ne nous montrons pas du tout dignes jusqu’à ce qu’un monstre, dans sa mégalomanie obsédante, l’ait traîté de pays de merde. Je les ai vus et entendus pleurer ce jour-là, Dieu merci que mes perceptions extrasensorielles visuelle et auditive m’ont permis, à moi peut-être exclusivement, d’avoir vu et entendu ce qu’il était possible à tout le monde. Sans m’innocenter et/ou me déresponsabiliser dans ce que devient le pays, il m’a fallu réagir par rapport à ces propos racistes. C’était tout ce que je pouvais faire, j’ai joué mon va-tout en ma qualité de citoyen haïtien et cela m’engage personnellement dans cet accomplissement du devoir de s’indigner! Et tous les commentaires qui s’ensuivront? Cela m’indiffère allègrement.

Pour l’année académique 2020-2021, la ville des Gonaïves est témoin de la première expérience d’un magazine interscolaire. Selon vous, en quoi est-ce bénéfique pour les élèves participants ?

J’avoue que c’est très bien pour la chaîne sociale du littéraire à Gonaïves. Cela met les élèves dans l’obligation de produire réflexions et textes, d’observer et de rapporter, de créer en littérature. Il reste à convaincre le lectorat par la qualité du produit et par sa régularité périodique. Quant à son accessibilité et sa consommation, le mode et les conditions de sa distribution sont entre autres des facteurs à prendre en compte. Par ailleurs, c’est une initiative qui s’apparente au fait que l’école devrait être parfaitement le creuset social dans une nation. Pendant que les élèves sont encore à l’école, ils constituent l’input ou les matières premières y étant soumises à tout un processus de transformation, de décantation par rapport aux impuretés acquises dans le processus de socialisation, de confrontation et de polissage afin que ces output en sortent en produit fini ou semi-fini au profit de l’humanité. Malheureusement l’État haïtien n’a toujours pas un projet d’Haïtiens et d’Haïtiennes et il en résulte des projets isolés, dans une compétition destructrice et haïtianicide, sinon xénocentrés. Quoique j’ignore absolument le mobile et la finalité de cette initiative, je présume que, chercher à fédérer les élèves de la Ville dans des actions de coopération et de renforcement mutuel, c’est quelque chose de louable jusqu’à preuve du contraire.

Le pays est en train de vivre des jours sombres. Le désespoir est presque partout. Pouvez-vous motiver les jeunes à s’impliquer dans l’objectif de devenir acteurs du changement ?

Un tel objectif n’est pas du tout hors d’atteinte. Cependant, y parvenir requiert des actions concrètes, itératives en vue convaincre cette jeunesse désarçonnée d’une possibilité de changement en termes d’amélioration. Des beaux discours et des belles paroles, la jeunesse en a justement marre et s’en méfie d’entrée de jeu; ce qui est tout à fait regrettable. Mais quand on se rappelle que ce désespoir est profondément construit par des personnes malhonnêtes qui malheureusement se trouvent là où elles n’auraient pas dû être, on doit conclure que déconstruire ce mirage et reconstruire l’engagement citoyen chez les jeunes Haïtiens et Haïtiennes n’est pas chose facile. Toutefois il ne faut pas du tout y renoncer et en voilà une bonne raison pour laquelle je suis en Haïti, mon pays que j’aime quoique beaucoup de laboratoires de destruction soient à pied d’oeuvre en vue de convaincre de nous enfuir et encore plus de ne plus y revenir.

De mon côté, je réalise de petites actions concrètes et durables, surtout avec des jeunes en qui il faut cultiver le sentiment de bâtisseur et bâtisseuse. Certes je suis conscient que cela devrait se faire à l’échelle nationale et macrosociale mais, je suis un simple citoyen, quoique responsable et engagé. Actuellement je suis en train de réfléchir sur un projet dont Bajou Magazine a le titre en primeur: « Petite École de Pensée et d’Actions Haïtiennes Écologiste de Gauche» (PÉPAHÉG). J’invite tout le monde à venir paufiner ce projet avant qu’il soit mis à exécution. Haïti? La jeunesse en prend soin!

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Magazine réunissant 30 élèves du secondaire venant de 15 établissements scolaires de tous les racoins des Gonaïves

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